Pourquoi le Dharma du Bouddha ?
- Cécile
- 11 juil. 2016
- 23 min de lecture
Introduction de mémoire de MII, Dharma et Abhidharma : médecine des troubles de l'âme.

L’essor récent du Dharma en Occident est la suite logique d’une perméabilité naturelle. Elle s’inscrit dans la continuité des recherches que nous menons depuis le XVIIIè siècle pour trouver un salut à l’extérieur de l’Europe. Au siècle des Lumières, les intellectuels ont tourné leur regard vers l’Inde. Le phénomène n’a cessé de s’amplifier avec ce que Nietzsche a appelé la « mort de Dieu » : le fait, écrit-il, « que la foi dans le Dieu chrétien a été dépouillée de sa plausibilité. » Dans le fracas des guerres, la conscience chaotique de l’Occident moderne n’a pas toujours trouvé en elle les ressources suffisantes pour étancher la soif d’un bonheur et d’une paix que les contingences de la vie ne sauraient altérer. Fatiguée par l’épuisante confrontation avec le sentiment de l’absurde, elle s’est intéressée une nouvelle fois à la grande civilisation indienne pour voir si elle n’avait pas des modèles à offrir à ses aspirations.
L’Europe a rencontré en la personne du Bouddha un homme délivré des maux de la condition humaine. Après l’intérêt intellectuel du XIXè siècle, ce modèle de santé est devenu si probant qu’aujourd’hui des millions d’Occidentaux mettent en pratique un enseignement dénué de prosélytisme, foncièrement tolérant et respectueux des convictions et des traditions spirituelles de chacun[1]. Parmi les causes de son succès, certaines paraissent assez superficielles : fascination de l’exotisme et d’un « Tibet magique », tentative pour concilier une pensée rationnelle et scientifique et une vie contemplative où l’imaginaire et le symbolisme ont leur place, rejet de la religion dans laquelle on est né et espoir que le bouddhisme réponde à des attentes déçues, matraquage médiatique qui transforme le sourire du Dalaï-lama en produit marketing. Son essor repose aussi sur la richesse des pays où il s’implante. Parce que nous ne souffrons pas de la faim, de la soif et du froid, parce que nous bénéficions des bienfaits liés aux avancées techniques et médicales, nous pouvons rechercher la félicité. Epicure le disait en son temps. Mais si la libération des nécessités matérielles est un gage de liberté, elle n’est pas suffisante. Et le philosophe grec d’ajouter que les richesses ne sauraient dissiper l’agitation intérieure et produire la vraie joie.
L’accroissement des richesses matérielles a d’ailleurs ses revers. La mystique de l’argent, les énormes tensions sur le marché des compétences, la mondialisation des échanges, la guerre économique, mais aussi le chômage et le temps gaspillé ne font qu’appauvrir de plus en plus la qualité de la vie privée. Plus terrible sans doute est ce constat de l’échec partiel de l’effort civilisateur qui génère autant de souffrances qu’il en guérit, détruisant l’édifice de la nature, hypothéquant dans la foulée les conditions indispensables à l’existence humaine. Les efforts de surproduction ne sont pas venus à bout du malheur. Quelles conséquences attendre de la révolution biologique (génomique, clonage, transgénèse…), de l’emballement du « tout technologique », de l’exigence accrue de vitesse ? La somme gigantesque des savoirs ne nous a pas rendus plus sages et n’a pas fait non plus reculer les dogmatismes religieux. Acculés à la finitude, de plus en plus conscients de notre vulnérabilité, vivant presque sans rapport au sacré et à l’absolu, voués à la dissonance, nous courons après l’idée d’un bonheur improbable, récoltant de-ci de-là quelques instants de grâce. Dans ces conditions, comment pouvons-nous déployer le potentiel de vie heureuse dont nous sommes investis ?
Nombre d’Occidentaux se tournent vers le bouddhisme pour surmonter un climat anxiogène, la détresse existentielle, le nihilisme ambiant ou la simple stupeur devant le fait d’exister. Ils perçoivent en la voie du Bouddha une vision très positive des possibilités humaines. Elle ne dramatise pas l’existence. Ce n’est pas vivre qui est le malaise mais ce que l’on fait de la vie. Ce sont nos états de consciences qui engendrent la souffrance ou le bien-être. De ce point de vue, sa démarche expérimentale cohérente et son approche méthodique et élaborée du fonctionnement de l’esprit trouvent un écho favorable. Le bouddhisme serait garant d’un triple espoir : espoir de trouver des moyens efficaces pour combiner le besoin d’une harmonie intérieure et les difficultés de la vie ; espoir d’un ré enchantement du monde motivé par le respect et l’amour des êtres vivants ; espoirs de renouer avec un absolu impersonnel au cœur de l’expérience humaine. Ainsi, le bouddhisme apparaît comme une voie où se trouvent conjugués harmonieusement connaissance et amour, réflexion et foi.
Dans ce contexte, l’essentiel ne consiste pas à « devenir bouddhiste » en parodiant les moines tibétains ou du Sud-Est asiatique. Avec le recul, on sait bien qu’introduire le bouddhisme tel quel en Occident débouche sur des caricatures. Ceux qui se rapprochent du bouddhisme ont avantage à incorporer le message du Bouddha eu sein même de leur culture. Grâce aux efforts des traducteurs et des commentateurs érudits, ils disposent désormais de plusieurs trésors spirituels. Ils peuvent aussi pratiquer et recevoir directement des enseignements car les centres bouddhistes se sont multipliés. L’opération d’assimilation ne signifie pas bricolage et déformation au nom d’un quelconque syncrétisme nébuleux, encore moins « bouddhamania », mais bien mise en pratique effective d’un mode de vie permettant de libérer l’esprit des tensions et des peines qui l’entravent. En gagnant en paix et en sagesse, chacun peut devenir un meilleur être humain et contribuer ainsi positivement au bien commun. Mais si on considère le bouddhisme comme une religion d’Asie, un tout achevé et figé, alors se pose la question de sa conformité avec le milieu ambiant et bien sûr de sa pérennité.
Le bouddhisme ne repose pas sur une parole révélée, un texte sacré mais sur une expérience, celle que fit Siddhârta Gautama au VI siècle avant notre ère. Siddhârta naît au pied de l’Himalaya, dans l’actuel territoire népalais, aux environ de 560 avant Jésus Christ. Il est le fils du souverain Suddhodana du clan Shakyas et de la reine Mayadevi, il reçoit une éducation à la hauteur des attentes paternelles et mène une existence fastueuse. Insatisfait de cette situation dorée, profondément troublé par la souffrance des êtres et ne parvenant pas à résoudre l’énigme de la vie et de la mort, il renonce aux richesses matérielles et quitte sa famille. Il arpente les chemins de la vallée du Gange en quête d’une réponse. Gouvernée par des rois ambitieux à la tête de confédérations et parcourues de marchands entreprenants, elle s’urbanise peu à peu. Après des années de réflexion, d’études et de pratiques ascétiques, Siddhârta décide de s’asseoir à l’ombre d’un arbre et de ne pas quitter cet abri tant qu’aucune solution ne se sera levée en lui. Là, il regarde au plus profond de son esprit et fait corps avec le monde vivant. Apaisé il découvre la plénitude de l’ultime équilibre : une expérience nue, libre de tout questionnement, de tout jugement, libre de la mémoire et de l’anticipation. Pour témoigner de l’inséparabilité de l’homme et de la nature au moment ou se produit l’expérience décisive de l’éveil, il a ces mots : « Lorsqu’est apparut l’étoile du matin, j’ai réalisé la voie avec la vaste terre et tous les vivants. » Ses premiers disciples l’appelèrent Bouddha, l’Eveillé : la présence globale exempte de dualité et de conflit, rayonnante de compréhension et de compassion. Compte tenu de son origine clanique, on a associé le titre « bouddha » au vocable Shakyamuni, le « sage du clan Shakya ».
Durant presque 40 ans, il parcourt l’Inde exposant au gré de la demande la voie libératrice qu’il a découverte. Sans avoir désigné de successeur, il quitte ce monde à l’âge de quatrevingt ans (vers 480 avant notre ère). Ses principaux disciples vont procéder à une classification précise d’un enseignement transmis oralement. Ils distingueront par exemple, les propos sur la discipline des dialogues, discours et exposés circonstanciés de nature plus philosophique. Compte tenu de la diversité des vues et des pratiques, on discernera aussi différents cheminements spirituels appelés yana en sanskrit. Apparaîtrons ainsi les termes hinayana ou petit véhicule, mahayana ou grand véhicule et vajrayana ou véhicule de diamant. La tradition indo-tibétaine différenciera également trois cycles d’enseignement, chacun correspondant à une pédagogie spécifique. Cycles et véhicules représentent les aspects complémentaires d’une seule et même transmission adaptée à la diversité des êtres et à la multiplicité de leurs besoins.
L’enseignement du Bouddha sera largement diffusé en Inde avant d’essaimer dans le monde entier. Malgré la pluralité des traditions bouddhiques et leur caractère parfois institutionnel, l’expérience fondatrice reste au cœur de la transmission. Toutes les lignées s’efforcent de perpétuer l’expérience de l’éveil, d’en dévoiler le sens et les implications, dans un esprit de tolérance respectueux de la diversité des êtres et de leurs cultures.
Le terme « bouddha », forme francisée du sanskrit buddha, est un titre honorifique. Formé de la racine budh, « s’éveiller » ou « s’épanouir », cette épithète signifie « connaissant » ou « éveillé ». Alors que nous demeurons absorbés dans le rêve de la vie, le Bouddha a obtenu la connaissance de la véritable nature des phénomènes, celle qui libère de la torpeur et du sommeil de l’ignorance. Dans l’imaginaire indien, on dit aussi que son intelligence s’est pleinement épanouie comme s’épanouit la fleur de lotus au-dessus des eaux sombres d’un étang. En ce sens, il a réalisé l’éveil et repose en la paix du nirvana. Pour souligner cet état de grande quiétude, on l’appelle aussi le Bienheureux, Bhagavat. Lorsque la confusion se dissipe, la nature claire et spacieuse de l’esprit transparaît, semblable à un ciel d’azur. Les imperfections sont des aspects secondaires qui ne peuvent en aucun cas l’affecter, comme les nuages ne peuvent détruire la clarté, la transparence et l’immensité de l’espace. Vide d’illusions, l’esprit d’un bouddha resplendit des qualités inhérentes à l’état d’éveil, dont l’amour inconditionnel pour tous les êtres et la capacité de leur venir en aide.
Aujourd’hui, nous avons acquis de vastes connaissances dans de nombreux domaines. D’aucuns diront que nous sommes plus érudits et plus savants que le Bouddha. De ce fait, si l’occasion se présentait de le rencontrer, fort de notre savoir, nous ne parviendrions sans doute pas à discerner l’étendue de ses qualités spirituelles. De ce point de vue, le Bouddha apparaît comme un simple être humain, certes doté de capacités exceptionnelles, mais qui, comme nous, vieillit, souffre dans sa chair et meurt. Par ses efforts, il a réussi à éviter tous les errements pour finalement incarner une humanité accomplie. A ce titre, les faits marquants de sa vie relatent la dernière existence d’un être destiné à devenir ce sage remarquable plongé au cœur des affres de l’histoire. Mais s’il a réalisé l’éveil insurpassable, c’est qu’il n’est pas différent de cette perfection qui s’exprime à travers lui dans le monde. Une perfection inconcevable, atemporelle et dans le même temps omniprésente. Le bouddha Sakyamuni la rend clairement manifeste. Selon cette vision, il a atteint l’éveil au cours d’une vie antérieure et se manifeste sur terre au moment le plus opportun. Dès lors, l’ampleur des ses qualités spirituelles révèle des aptitudes qui, même si elles échappent à l’entendement habituel, ont l’avantage d’amplifier notre compréhension de l’esprit et de sa nature.
L’approche historique et la vision de la perfection indicible sont complémentaires. La première nous renvoie à une lecture chronologique des actes qui ponctue la vie du Bouddha. La seconde concerne l’expérience spirituelle la plus profonde. La perspective historique a une portée limitée. Elle ne peut embrasser l’étendue universelle et atemporelle de la bouddhéité. Cependant, elle nous apprend que le Bouddha a vécu, comme nous, dans un monde soumis à la convoitise, à la jalousie et à la haine. Il a connu ce que nous avons presque tous expérimenté un jour : le doute stérile, la peur, la maladie, le découragement mais aussi la joie, l’amitié, l’amour et la chaleur du foyer. En cela, le Bouddha est très proche de nous. Comme le dit Thoubten Djigmé Norbou[2]: « Que pourrions-nous bien apprendre, au fond, d’un homme né différent de nous ? »
Le bouddhisme considère que le Bouddha historique n’est pas le seul bouddha dans l’univers. Il postule que d’autres êtres éveillés se manifestèrent dans le passé et que d’autres enseigneront dans le futur pour venir en aide à tous les êtres. Tous suivent le même parcours ponctué, comme on le verra, de douze évènements principaux appelés les « douze œuvres ». Tous ont actualisé l’éveil au prix de nombreux efforts s’échelonnant sur d’innombrables vies. La vision d’une pluralité de bouddhas au sein de cycles cosmiques s’étendant sur d’immenses périodes de temps évite aux apprentis du bouddhisme de se focaliser sur la personnalité de son fondateur. S’ils lui vouent une grande dévotion, c’est en tant que guide suprême et manifestation de l’ultime réalisation spirituelle. La compréhension et la pratique de l’enseignement restent les facteurs essentiels.
Ehi passika, « Venez et voyez ». Telle est l’expression en langue palie qui sert à qualifier l’enseignement du Bouddha Sakyamuni. « Voyez » appelle un effort personnel. « Si je veux savoir ce qu’est la lune, dit un texte indien, il faut que je la voie de mes propres yeux. Tout ce que d’autres m’en diront ne me la feront jamais connaître. » Le Bouddha prodigue à ce titre deux précieux conseils. Il dit tout d’abord : « Vous êtes vous-mêmes votre propre maître, c’est de vous que tout dépend. En tant que professeur, à titre de docteur, je peux vous prescrire le remède efficace, mais c’est à vous de le prendre et de vous soigner. » Dans d’autres circonstances, il précise : « Lorsque vous savez par vous-mêmes que certaines choses sont défavorables, (…) et que, lorsqu’on les met en pratique, ces choses conduisent au mal et au malheur, à ce moment-là, abandonnez-les. (…) Cependant, lorsque vous savez par vous-mêmes que certaines choses sont favorables, que telles choses louables sont pratiquées par les sages, et que lorsqu’on les met en pratique, ces choses conduisent au bien et au bonheur, pénétrez-vous de telles choses et pratiquez-les. »[3] On peut comparer l’enseignement à une carte. Celui qui consulte la carte ne la confond pas avec le terrain, sa propre expérience. Le Bouddha dit d’ailleurs que celui qui regarde uniquement le doigt qui pointe vers la lune et le confond avec celle-ci ne verra jamais la vraie lune. Les conseils proposés permettent d’improviser au cœur de notre propre expérience. Ils doivent être examinés et éprouvés de manière directe à la lumière de notre propre intelligence. Rien ne devrait être accepté sous le couvert d’une foi naïve et aveugle. L’intelligence critique et le libre examen empêchent de développer des attitudes rigides. En appliquant les conseils du Bouddha, il se peut que les facteurs perturbateurs, absence de discernement, appétence de l’égo, fierté, névroses…, fléchissent d’eux-mêmes. Si au cours de cette opération, nous gagnons en compréhension et en sérénité, et trouvons la manière la plus fructueuse de mener notre vie, les conseils s’avèrent dès lors fondés en vérité. Le processus expérimental permet de vérifier en situation la justesse des enseignements et de fortifier le courage indispensable pour surmonter les épreuves de l’existence en transmutant notre confusion en sagesse inconditionnelle.
D’où l’importance capitale de la pratique méditative. Elle relie le méditant à la qualité merveilleuse de la vie ordinaire. En la simplicité de l’état naturel, les crampes mentales se relâchent. La méditation permet de revenir aux sources de l’expérience la plus profonde, avant la grande marée des élaborations conceptuelles. C’est l’expérience la plus dépouillée : celle du réel dans l’immédiat d’un regard, l’instant d’une expiration, une présence non interprétée et manipulée par l’égo et ses passions. Nous portons en nous cette expérience et la joie qu’elle abrite. Sans pratique assise, le contenu de la transmission demeure inopérant. Sans méditation, point de Bouddha, point d’enseignement sur l’art de s’éveiller ; au final point de bouddhisme.
Reconnaissant l’universalité du malheur, le bouddhisme admet que la cruauté des hommes n’est que le symptôme d’un égoïsme dévastateur. Cet égoïsme plonge ses racines dans l’ignorance de notre condition réelle. Sur ce terreau fertile se développe le « mal radical », celui qui détruit l’harmonie de la vie. Selon la tradition du Bouddha, le cœur de la nature humaine est un état sain et heureux. On l’appelle volontiers « bonté fondamentale » ou « santé primordiale ». On objectera que les tragédies et les atrocités qui jalonnent le cours de l’histoire nous montrent un tout autre visage. Le bouddhisme nous enseigne que le mal n’est pas inhérent au monde. Les guerres sont le résultat des pensées, des jugements et des comportements souillés par la cupidité et l’obscurantisme. Même dans les situations les plus intolérables, là où le mépris des êtres humains est à son comble, l’état sain et heureux peut encore transparaître parce qu’il est l’état naturel des hommes. L’écrivain italien Primo Levi, emprisonné à Auschwitz, en porte témoignage dans Si c’est un homme, rendant hommage à Lorenzo, « un homme à l’humanité pure et intacte », il écrit : « C’est justement à Lorenzo que je doit d’être encore vivant aujourd’hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m’avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et si facile d’être bon, qu’il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres qui ni la corruption ni la barbarie n’avaient encore contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose d’indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant. »
Cette bonté nous l’avons tous ressentie en contemplant un paysage, en découvrant une œuvre d’art, en aimant, en goûtant la chaleur de l’amitié… Nous savons tous que l’affection et la tendresse sont inscrites dans notre esprit et sont même des nécessités biologiques. Le nouveau-né et sa mère éprouvent verticalement cet élan du cœur. Qui ne se précipiterait pas spontanément pour secourir un enfant sur le point de se noyer ? Tout au long de notre développement et parce que nous dépendons les uns des autres, nous avons besoin de manifester un amour altruiste. L’affection de nos parents, de nos enfants, de nos amis nourrit également notre vie. Si nous atteignons un grand âge ou devenons invalides, cet amour nous sera d’un grand secours. Au moment de notre mort, il saura peut-être nous apaiser. Mais parce que nous sommes des êtres d’oubli, facilement emportés par des vagues d’émotions négatives et le besoin de satisfaire notre bien-être personnel, l’éducation à la paix et à l’amour se montre indispensable. L’enseignement du Bouddha porte en lui les moyens propres à développer une culture de la non-violence et de la justice. Ainsi, la bonté fondamentale est indissociable d’une exigence de vertu, de responsabilité, de générosité, de ferveur et de grandeur intérieure. Elle ne saurait être identifiée à un sentiment naïf et puéril.
Un jour alors qu’il partage de la nourriture avec des enfants, le Bouddha expose le sens profond de sa démarche. Il vient de manger une mandarine qu’une jeune fille appelée Nandabala lui a donné : « La mandarine que Nandabala m’a offerte, dit-il, avait neuf sections. J’en ai mangé chaque morceau consciemment en appréciant combien chacun d’entre eux était précieux et délicieux. J’étais conscient de l’existence de la mandarine, aussi elle est devenue très réelle pour moi. Si la mandarine est réelle, la personne qui la mange est réelle aussi. Voilà ce que veut dire manger une mandarine consciemment. »[4] Lorsqu’on agit ainsi, les distractions disparaissent. Dans le même temps, se développe le sens de la relation sacrée avec le monde vivant. Celui qui consomme le fruit sans attention ne discernera pas en lui le mandarinier, la fleur d’où procède la mandarine, sa croissance, la pluie, la lumière et la terre qui l’ont nourri. Il ne distinguera pas les milliers d’éléments merveilleux qui entrent dans sa composition.
Le Bouddha conclu par ces paroles : « Mes enfants, votre vie est à l’image d’une mandarine divisée en sections. Vivre les vingt-quatre heures d’une journée revient à manger toutes les parties d’une mandarine. La voie que j’ai trouvée permet de vivre chaque heure du jour en pleine conscience, le corps et l’esprit en permanence dans l’instant présent. Le chemin opposé consiste à vivre dans la distraction. Vous ne savez alors pas vraiment que vous êtes en vie. Vous ne jouissez pas pleinement de la vie parce que votre corps et votre esprit ne sont pas fermement dans l’ici et maintenant. »
Le bouddhisme enseigne comment accueillir la vie avec une attention libre d’attachement et de désinvolture pour que la vie féconde notre élan vital. En retour, en déployant le potentiel de vie dont nous sommes investis, nos actions épousent le mouvement harmonieux de l’énergie vitale. Accueillir et déployer, en un seul mouvement conforme à l’alternance de la respiration et qui laisse advenir notre authenticité. Cette attitude est parfaitement compatible avec la conscience de la souffrance et de la misère humaines. Nous savons que les changements bénéfiques auxquels nous aspirons ne dépendent pas uniquement d’une réforme des modèles économiques, des structures politiques et sociales, des débats sur les grandes idées. D’un point de vue bouddhique, le meilleur service que nous puissions rendre au monde est de gagner la sagesse. C’est fondamentalement une attitude de compassion, car celui qui reste prisonniers des sables mouvants ne peut en sortir les autres. Si nous n’avons pas approfondi notre connaissance de nous-mêmes et développé notre capacité à aimer, nous auront peu de chose à offrir aux autres. En revanche nous risquons de leur communiquer nos blocages, nos tensions, nos préjugés et notre insatisfaction.
Le bouddhisme comprend des méthodes qui éveillent à la simplicité, à l’amour, la beauté et la sagesse. Reposant sur un examen de nos comportements et de leurs mobiles, elles conduisent à une transformation profonde de la manière d’envisager l’existence et notre présence au monde. Elles nous aident à découvrir nos failles et les blessures que nous cachons dans le tissu d’habitudes et de non-dits. Elles nous aident surtout à découvrir nos possibilités intérieures et à les cultiver au cœur des activités quotidiennes, de sorte que nous puissions mener une existence harmonieuse. La transformation qui s’opère a pour but de nous faire passer d’un état de conscience et d’insatisfaction à un état de lucidité et de quiétude caractérisé par le contentement, la joie et l’altruisme. Lorsque nous commençons à comprendre les mobiles qui nous animent, nous voyons clairement combien notre état mental est déterminant. Sous l’emprise de la colère ou de la jalousie, par exemple notre vision de la vie perd son éclat et se restreint. En revanche, si nous parvenons à éviter que de telles émotions se lèvent en nous, notre esprit demeure détendu, clair et ouvert sur le monde. En étant le plus possible maître de nous, nous sommes plus à même à faire face aux difficultés que nous rencontrons. Si nous expérimentons une réelle tranquillité intérieure, les paroles outrageantes, le cynisme et autres bassesses ne nous blesserons pas. Si nous comprenons que rien ne dure et que tout se transforme, les accidents de la vie seront plus supportables. Si nous pratiquons le contentement, nos désirs faibliront, nous seront moins envieux et nous saurons nous réjouir du bonheur d’autrui. SI nous avons conscience de la valeur infinie du moment présent, la crainte du futur et le désappointement à l’évocation de souvenir douloureux s’estomperons d’eux-mêmes. Peu à peu, nous nous ouvrirons à la beauté du monde vivant, l’amour altruiste retrouvera sa spontanéité et l’esprit restera en paix.
Cette attitude suppose de nombreux efforts à renouveler chaque jour. A l’instar des formules de mieux-être immédiat qui promettent un résultat sans rien changer à nos habitudes, la pratique du Dharma requière un engagement à discipliner notre comportement, à dépasser l’intérêt particulier et égoïste, à observer une alimentation respectueuse de la vie, à étudier pour maîtriser l’enseignement et la pensée, à méditer pour apprendre à laisser vivre notre état naturel. C’est là toute l’exigence d’une démarche traditionnelle où se mêlent éthique du désintéressement, connaissance de soi et souci des autres. Pareille exigence ne suppose pas une crispation. L’entraînement doit se faire sans tension, dans la sérénité. D’où l’importance de la détente, de la joie, de la douceur à l’égard de soi et d’autrui, de la gratitude envers la précieuse existence afin de prendre conscience des merveilles de l’esprit éveillé. Comme l’écrit Thich Nhat Hanh, un maître vietnamien contemporain : « il importe de se demander : ‘les enseignements du Bouddha ont-ils quelque chose à voir avec ma vie quotidienne ?’ Les idées abstraites peuvent assurément êtres superbes, mais si elles n’ont rien à voir avec notre vie, quel peut bien être leur intérêt ? Aussi ne manquez jamais de vous demander : ‘ces mots ont-ils quelque chose à voir avec le fait de se nourrir, de boire du thé, de couper du bois ou de porter de l’eau ?’ »[5] Les mots devraient nous conduire au monde, aux autres. Ils devraient nous aider à mener une vie de beauté, à avoir le courage d’aimer et de célébrer la vie.
Le processus de transformation intérieure tient compte de 3 niveau appelés base, voie fruit.
La base c’est l’expérience concrète de la vie : ce que nous sommes, là où nous sommes à l’instant présent. Vivre nous conduit à faire des expériences pénibles, plaisantes ou neutres. Dans cette situation, nous avons l’impression de former une entité relativement stable et indépendante, au milieu de l’univers infiniment vaste. La base, c’est aussi ce paradoxe que nous ressentons quand nous voyons les merveilles que l’homme peut accomplir au regard du saccage du monde vivant, de la multiplication des états dépressifs, du mépris des valeurs humaines fondamentales. La base c’est donc cette situation a la fois claire et confuse : claire lorsque la bonté fondamentale rayonne, confuse et douloureuse lorsque nous perdons le contact avec l’état sain et bienheureux.
La voie consiste pour l’essentiel à s’ouvrir avec attention et lucidité au potentiel des situations quotidiennes, de sorte à laisser vivre la sagesse qui est en nous. La voie ne promet rien. Elle explique simplement comment les illusions dualistes viennent troubler la clarté de l’état naturel. Elle présente surtout les remèdes à appliquer afin de résoudre les problèmes cruciaux de la condition humaine. Ces remèdes permettent de pacifier l’esprit. Du coup, l’inquiétude décroît et le calme vient ; la connaissance et l’amour se développent. La voie comprend les moyens adéquats qui favorisent l’actualisation du fruit. A l’image du vent invisible qui couche les herbes, les efforts entrepris consistent à faire de notre mieux pour infléchir le cours de notre vie dans le sens de l’éveil. La voie repose sur la transmission des richesses scripturaires (via l’étude des textes dans lesquels sont consignés les enseignements du Bouddha et la transmission de l’expérience (via la pratique de la méditation). L’étude des enseignements ne consiste pas en l’acquisition d’un savoir théorique mais en la formation de dispositions intérieures capables d’élever le niveau de conscience par delà le point de vue partial et limité de l’ego, en vue de renforcer la transmission de l’expérience. Même s’ils exercent l’intelligence, ouvrent des perspectives plus vastes à l’esprit, se montrent donc, indispensables, les discours ne suffisent pas à transformer la personne et ils ne suffisent pas en eux-mêmes. Il faut donc pratiquer les méthodes, s’exercer en particulier à la méditation, pour laisser advenir l’expérience fondamentale, seule capable d’opérer une guérison complète.
Le fruit est l’éveil, la bouddhéité, cet instant où le sommeil de l’ignorance prend fin, cédant la place à une compréhension infinie, ouverte, claire et compatissante. L’esprit comprend directement et spontanément sa nature. Le fruit est simplement le réelle que nous sommes, présent à chaque instant.
« Qu’est ce qu’être bouddhiste ? » entend-on souvent. Sur le fond, « être bouddhiste » c’est se sentir en résonance avec l’enseignement du Bouddha. C’est ressentir en soi sa profonde vérité, le vivre dans le déroulement de notre existence quotidienne. Au niveau le plus essentiel, l’expérience spirituelle est commune à toutes les traditions. Cette expérience relève de la perfection de notre humanité. De ce point de vue, nous sommes tous des êtres humains avant d’être bouddhiste, chrétien, musulman, taoïste, athées… L’appartenance à telle ou telle tradition spirituelle ou humaniste demeure secondaire. Nous pouvons revêtir toutes sortes d’étiquettes tout au long de notre existence alors que nous garderons le statut d’être humain jusqu’à notre mort. Toutefois, on peut « devenir bouddhiste » comme on dit « devenir chrétien ou musulman », par une adhésion du cœur et donc un engagement. L’adhésion du cœur se concrétise par « l’entrée en refuge ». Le refuge repose sur une résolution intérieure : abandonner les actes négatifs qui intensifient la douleur existentielle et tourner son esprit vers la clarté de l’éveil et les actes positifs. En sanskrit, refuge se dit sharana, ce qui signifie protection ou secours. Les personnes cherchant à se protéger contre les méfaits de la souffrance s’en remettent aux trois joyaux en lesquels elles ont toute confiance et avec lesquels elles établissent une connexion spirituelle. Ces 3 joyaux sont : Bouddha, Dharma et Sangha. On les nomme joyaux parce qu’ils sont exempts de toute passion égoïste et ne sont pas affectés par les changements dus au temps.
Le Bouddha : selon les véhicules, ce peut être le Bouddha historique, l’éveil qui est le but de la voie, la nature de Bouddha au cœur de tous les êtres vivants, mais aussi la nature ultime de tous les phénomènes : le chant d’un oiseau, les rivières, la terre…
Le Dharma : le remède aux maux dont nous souffrons, la voie de compréhension et d’amour qui permet d’actualiser l’éveil.
Le Sangha : la communauté des personnes engagées dans la voie et soucieuses d’incarner son idéal du bien. Cœur de la dimension dans sa dimension personnelle, interpersonnelle et atemporelle, la Sangha est le lieu où se vit la continuité de la base, de la voie et du fruit. C’est là que prennent forme les différents canaux de la transmission : les lignées spirituelles et les écoles. Dans une vision holiste, le Sangha ne se limite pas à l’harmonie que manifeste la communauté des disciples du Bouddha. Il englobe tous les êtres vivants dans la formidable danse de l’interdépendance.
Les joyaux désignent la triple dimension de l’éveil. Lorsque notre esprit et notre cœur sont libres d’illusions, nous actualisons l’ultime réalisation spirituelle, Bouddha. Lorsque notre parole reflète la compréhension la plus profonde, exhale la bienveillance et se montre éveillante, elle exprime la réalité de la voie, Dharma. Lorsque nous agissons sous l’influence de ces belles dispositions, notre présence au monde via notre corps rend manifeste le sentier d’éveil et le réalise. Cette présence est alors le reflet du Sangha. Au niveau essentiel, la confiance en la pureté primordiale de l’esprit est le refuge unique.
Un rituel entérine la décision de vivre à la lumière de la bonté fondamentale. Il confère à cette résolution une force particulière qui fera décroître la domination de l’ego. La cérémonie de l’entrée en refuge comprend un hommage rendu au Bouddha et la récitation des préceptes que le postulant devra s’efforcer de respecter. Elle se vit dans un état de compassion envers tous les êtres vivants, et plus particulièrement pour les plus faibles et les plus démunis. Le rituel ordonne le corps et la parole à la nouvelle posture de l’esprit en établissant une connexion positive avec la pureté primordiale. Selon les écoles, la formule d’entrée en refuge varie quelque peu dans la forme. Sur le fond, tout reste identique. « En les Bouddha, Dharma et Sangha, Jusqu’à l’Eveil j’entre en refuge, Par les bienfaits des dons et vertus, Que je m’éveille pour tous les vivants. » Celui qui entre dans la quête sacrée accueille dans le même temps l’inspiration d’une tradition millénaire de bonté et d’harmonie. Il en devient l’héritier. Le nom qu’il reçoit à ce moment là est le reflet de ses engagements et des nouvelles aptitudes qui vont lui permettre de découvrir sa condition réelle dans les actions de la vie quotidienne.
Si le terme « bouddhisme » est largement passé dans la langue, désigner ainsi l’enseignement du Bouddha demeure contestable. Le mot « bouddhisme » est un néologisme moderne, inventé par les indianistes aux alentours de 1825[6], alors que l’enseignement du Bouddha est vieux de vingt-cinq siècles. Mais surtout, le suffixe « –isme » a l’inconvénient de situer cet enseignement dans une perspective théologique, métaphysique, philosophique et dogmatique qui n’est pas celle de son esprit ni de sa nature. En Occident, l’emploi quasi systématique du mot « bouddhisme » souligne indéniablement l’effort de classification d’un enseignement perçu au XIXème siècle comme un système de pensée, une lointaine religion d’Orient… Mais à l’époque, les philosophes occidentaux ont façonné pour longtemps une image de l’enseignement du Bouddha qui était surtout conforme à leurs préconceptions.
Connaître les principales significations de Dharma laisse entendre des résonnances profondes qui se cachent sous le néologisme comme nous le remarquerons. Pour nous sans entrer dans les détails le Dharma désignera l’enseignement du Bouddha et une voie de guérison de nos illusions. Cet enseignement satisfait tous ceux qui ont besoin de concepts, d’images, de gestes et de silences pour tenter d’apaiser la triple interrogation qui nous hante parfois jusqu’à la fin de notre vie : D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?
La philosophie peut-elle nous rendre heureux ? Nous consoler ou lever nos angoisses ? Jadis, la philosophie était autre chose qu’une pure spéculation : être épicurien, ou stoïcien, ce n’était pas seulement penser, mais bien vivre comme tel. La dimension existentielle de la connaissance était revendiquée, la lutte contre la souffrance étant d’ailleurs l’horizon commun de ses sagesses. Les philosophes ont souvent proposé des façons de travailler sur soi, sur ses représentations du monde ou ses désirs pour mieux vivre : parvenir à « la vie bonne » (Aristote), délivrée de la peur de la mort (Epicure), débarrassée du frein de la mauvaise foi (Sartre)… En ce sens la philosophie propose des « remèdes » aux maux de la condition humaine. Or, les philosophes modernes sont souvent satisfaits par une belle construction verbale et un bel exposé. Le discours philosophiques est trop souvent une fin en soi et les exercices spirituels restent trop des exercices intellectuels. Le bouddhisme n’est ni simplement un enseignement, ni une simple pratique mais vraiment la conjonction des deux pour former un remède contre troubles de l’âme identifiés à l’existence elle-même et propose une méthode pertinente pour nous aider à vivre heureux ou plus heureux. L’engouement actuel pour cette discipline tend à le laisser croire. Ce que viennent y chercher les nouveaux adeptes, ce qui les attire autant sont des valeurs universelles vieilles comme le monde, à savoir l’amour et la compassion trop oubliées à cette heure. Ainsi s’agira-t-il de voir si le bouddhisme peut bien être considéré comme ce remède universel qui délivrera les maux de la condition humaine.
Etant donné le caractère limité de notre travail et la grande diversité des écoles issues du bouddhisme, je m’intéresserai tout particulièrement à l’Abhidharma qui propose une voie permettant à l’homme de se défaire de ses peurs et de ses entraves en vue d’accéder au bonheur. Il me semble que pour pouvoir nous défaire de nos peurs et tendre vers la liberté, il faut connaître notre esprit. L’Abhidharma nous aide à mieux comprendre le processus de fonctionnement de celui-ci, il analyse les processus cognitifs et leur structure. Mais il faut également comprendre notre environnement et là aussi, l’Abhidharma vient analyser les structures de l’univers. L’Abhidharma est donc un ensemble d’écrits qui constituent le fondement de la philosophie et de la psychologie bouddhique. En démontrant l’absence d’entité autonome et indépendante dans les phénomènes, il nous permettra d’expérimenter comment vivre avec ce que nous sommes et ce que nous sommes.
Ceci dit, il est bien entendu que mon intention n’est pas de traiter la question de manière exhaustive, la tâche est de grande ampleur et somme toute bien difficile, mais d’échafauder un début de réponse fondée quant à savoir s’il est légitime de parler du bouddhisme comme d’une médicine de l’âme.
[1] En France, on compte environ cinq millions de personnes qui se disent « proches » du bouddhisme et six cent mille personnes engagées dans la voie.
[2] Frère du XIV Dalaï Lama
[3] Extrait du Kalamasutta, l’accès aux libres examens, dans les Sermons du Bouddha. La traduction intégrale de 20 textes du canon bouddhique, par Mohan Wijayarathna, Paris, Seuil, 2001, p. 33 et 35,
[4] Traduction de Thich Nhat Hanh dans Sur les traces de Siddharta, p. 108-109
[5] Le silence foudroyant, p. 95
[6] Voir Roger-Pol Droit, Le Culte du néant : les philosophes et le Bouddha, Le Seuil, 1997
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